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Informel : L’accès au foncier industriel, un frein au passage à la formalité ?
16 février 2021 Media24
Selon plusieurs industriels, ce qui pousse beaucoup de TPE ou de PME à s’installer dans des caves, c’est l’absence de foncier industriel adapté.
C’est un des points soulevés par plusieurs industriels du textile, qui nous expliquent que si l’économie souterraine persiste, c’est en raison notamment de l’absence d’un foncier industriel accessible à ces petites entreprises et proche des bassins d’emplois.
Le foncier n’est pas, selon eux, le seul point qui freine le passage à la formalité, mais il fait partie des causes qui poussent des entrepreneurs qui ont des projets souvent viables à s’installer dans des caves "mortelles" dans des quartiers résidentiels. Pour une question de coût, mais aussi d’absence de contraintes de transport pour leurs employés.
Contacté par Medias24, Mohssine Semmar, membre du directoire de MedZ, premier aménageur de zones d’activités au Maroc réfute cette thèse.
Le foncier est là, mais la demande est quasi absente
"Cela fait 25 ans que je suis dans ce domaine. Et je peux vous assurer que l’accès au foncier industriel pour les TPE et PME ne se pose plus aujourd’hui. Dans pratiquement toutes les zones que nous aménageons, il y a des lots qui sont dédiés à la TPE et à la PME, mais la demande n’est pas là", nous explique-t-il.
A Tanger, où le drame de la cave à textile s’est produit cette semaine, l’aménageur affilié à la CDG n’intervient pas. La région étant réservée (de manière tacite) à l'Agence spéciale Tanger Med (TMSA), pour éviter un effet de cannibalisation entre deux acteurs publics qui agissent pour les mêmes objectifs.
Mais si TMSA est connu essentiellement pour ses zones TFZ et Tanger Automotive City, qui sont des zones dédiées à l’export, une source au sein de l’institution nous affirme que la région dispose d’une zone dédiée pour la TPE et la PME, proche de Tétouan, à des conditions très accessibles. "Mais depuis son ouverture, cette zone a malheureusement du mal à être remplie, faute de demande", nous affirme notre source.
Même constat soulevé par le dirigeant de MedZ, qui pointe également ce problème de demande dans les autres régions du Royaume où la filiale de CDG développement intervient. Un problème de demande dont les causes sont diverses. L’une des principales est l’accès au financement.
"A Kénitra, on a développé la zone d’accélération industrielle, mais on a aménagé à ses côtés une zone dédiée à la TPE et la PME, car les équipementiers ont besoin de petits sous-traitants pour certaines tâches, mais ils n’en trouvent pas. L’opportunité est là surtout pour des activités de maintenance, de commodités, de recyclage… A Meknès, on a également des lots dédiés aux TPE et PME. Idem à Oujda, Berkane, à Nador, Hoceima ou à Boujdour. Le problème, c’est que ces TPE et PME n’ont pas de dossiers bancables et n’arrivent pas à mobiliser les financements pour acheter les terrains et construire les usines", explique M. Semmar.
Le dirigeant de MedZ note toutefois une exception dans le secteur de l’agro-alimentaire et dans les zones qui y sont dédiées à Meknès, à Berkane et au Souss. Des agropoles où beaucoup de PME et de TPE se sont installées, car la demande était là et l’offre de terrains accessibles dans des zones aménagées et disposant de toutes les commodités est venue y répondre.
"A part les agropoles de Meknès, d’Agadir et de Berkane, nous constatons une très faible demande sur les lots industriels dédiés à la TPE et à la PME dans toutes les autres zones qu’on a aménagées. La démarche qui est la nôtre, c’est d'être à l’écoute du marché et d’anticiper ses besoins. Si la demande est là, on s’adaptera. Mais la demande n’est pas là", souligne M. Semmar, qui tient à rappeler que MedZ est avant tout un partenaire de l’Etat dans ses politiques publiques.
"L’informel a besoin d’une stratégie intégrée, le foncier est un faux alibi"
"Notre rôle est d’accompagner l’Etat dans ses stratégies de développement des métiers mondiaux du Maroc. Ce que nous faisons aujourd’hui avec beaucoup de succès. La problématique de l’informel ne se réduit pas à un problème de foncier. C’est trompeur. Mais si l’Etat lance demain une politique intégrée pour l’informel qui comprend également une composante foncière, nous serons là pour l’accompagner", précise M. Semmar.
Mais pour les industriels, c’est justement ce modèle de zones où l’entreprise est obligée d’acheter le terrain, de construire, avant de démarrer son activité qui freine l’investissement. Une de nos sources plaide ainsi pour un changement de modèle surtout pour les lots qui sont dédiés à la TPE et à la PME, avec des offres locatives accessibles.
Au-delà de MedZ, d’autres alternatives existent notamment dans le locatif. Elles sont portées par la CFCIM qui agit en partenariat avec le ministère de l’Industrie, comme nous le confirme Mounir Benyahya, directeur des Parcs industriels de la Chambre française de commerce et de l’industrie.
"Effectivement, l’accès au foncier reste encore difficile pour les investisseurs au Maroc, surtout les PME, qui n’ont pas les ressources suffisantes pour l’acquisition de terrains, souvent trop chers, et de surfaces trop grandes. Des alternatives existent cependant. La CFCIM a par exemple, initié des projets en partenariat avec le ministère de l’Industrie, afin de proposer du foncier locatif aux investisseurs. Cette option leur permet de garder leurs capitaux pour les investir dans l’appareil productif et non pas dans le foncier. Les surfaces sont elles aussi adaptées aux PME, puisque des terrains de petite taille (à partir de 500 m²) sont proposés. Des bâtiments locatifs prêts à l’emploi sont également proposés, pour ceux qui ne souhaitent pas investir dans les murs", explique M. Benyahya.
Des lots qui marchent bien, car loués à des prix très accessible (6 DH le m2). Mais cette location ne porte que sur le terrain, et la TPE ou la PME doit pouvoir avoir la capacité de construire son usine et l’équiper…
Mais ceci est un faux problème selon lui. Car location ou achat, l’indicateur qui montre que si l’investissement est bon ou pas, c’est le résultat final. Et le résultat des entreprises qui ont acheté dans des zones développées par MedZ montre que le modèle d’achat et de construction ne pose aucun problème.
"A Kénitra comme dans d’autres zones, nous avons des multinationales qui nous assurent que leurs usines marocaines sont les plus compétitives et les plus rentables du monde. Si c’est valable pour des étrangers, ça doit en principe être valable également pour des acteurs locaux. Ceci montre que le foncier, et l’offre développée jusque-là, n’est pas un frein au développement ou à l’investissement", précise M. Semmar.
Au ministère de l’Industrie, une source nous affirme qu’il ne faut pas dévier le problème de l’informel sur le terrain du foncier. Car cela est un faux débat, nous dit notre source.
"L’informel a besoin d’une politique intégrée, qui agit sur plusieurs composantes : le fiscal, l'administration, la simplification des procédures, la digitalisation, mais aussi et surtout un changement dans la mentalité des entrepreneurs. Quand tout cela sera réglé, ces gens trouveront le foncier qu’ils veulent car l’offre est là, elle est diversifiée et est présente dans tout le territoire du Royaume. Sans parler des nouveaux projets qui sont lancés, soit par le ministère, par MedZ ou différents acteurs privés", confie notre source, qui nous donne l’exemple de la zone dédiée aux acteurs du secteur du cuir qui va régler définitivement le problème des tanneurs de Fès.
Notre source au ministère précise également que le développement de zones d’activités n’est pas une activité réservée exclusivement à l’Etat. "Les Communes et les Régions doivent s’impliquer également dans l’aménagement de zones d’activités. Elles connaissent mieux que quiconque la réalité territoriale et ont tous les moyens pour agir".
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