ProNews

Sociétés de recouvrement: Il est temps de réguler l’activité

15 décembre 2020 La Vie éco

La crise actuelle devrait profiter à certains secteurs. 

La crise actuelle devrait profiter à certains secteurs. C’est le cas, par exemple, des sociétés de recouvrement qui semblent profiter durant ces dernières années marquées par l’explosion des créances en souffrance. Zoom sur ces sociétés dont (souvent) les méthodes semblent déranger.
Il n’existe pas de recensement officiel des sociétés de recouvrement, mais elles sont environ une centaine à opérer sur le marché. Elles se distinguent selon le montant des impayés, ou encore le secteur d’activité dans lequel elles évoluent, puisqu’elles ne travaillent pas seulement avec les organismes de crédit, elles ont aussi des contrats avec des sociétés du BTP, des services, des promoteurs immobiliers… Les moyens utilisés donc pour assurer leurs missions diffèrent en fonction de la nature des débiteurs. Il y en a qui se limitent à des envois de courriers ou à des appels téléphoniques quand il s’agit de particuliers, mais peuvent également effectuer des visites sur site ou prendre des rendez-vous avec les responsables des entreprises débitrices quand il s’agit de créances importantes.

Comment se passe la procédure de relance ?
Un recouvreur de la place explique que la relance d’un client démarre par un courrier envoyé par poste dans le but de s’enquérir de sa situation financière. S’il ne se manifeste pas au bout de quinze jours, un deuxième courrier de relance lui sera adressé suivi d’une moyenne de deux appels téléphoniques pour s’assurer de la réception des lettres. Si toutefois le débiteur ne régularise pas sa situation ou ne montre aucune volonté de négociation, une lettre de mise en demeure lui est transmise. «En général, dès réception de la mise en demeure, le débiteur se manifeste et entre en négociation pour rééchelonner sa dette». Cette entente se traduit par un protocole d’accord signé avec la société de recouvrement incluant la reconnaissance de dette, les termes de remboursement, les ordres de virement, etc.
Mais si quelques sociétés de recouvrement utilisent des moyens légaux pour arriver à bout de leurs missions, beaucoup d’autres recourent à des techniques qualifiées de harcèlement, à grand renfort de stratagèmes pas toujours orthodoxes, misant sur la psychologie d’un débiteur défaillant, conditionné à être fautif et surtout peu ou pas informé de ses droits. Tout y passe : Menace de saisie des biens, courriers pseudo-officiels, usurpation d’identité, faux avis d’huissiers, appels téléphoniques répétés et malveillants à la personne intéressée, ou encore des courriers avec des en-têtes inventés de toute pièce (Avis d’injonction de payer, Dernier avis avant poursuites judiciaires, etc.), selon plusieurs témoignages. Si ces pratiques peuvent bien exister réellement, il ne faut cependant pas généraliser.
«Pourtant, menacer d’envoyer des huissiers au domicile du débiteur pour saisir les biens est purement légendaire, pour une raison simple : un huissier ne peut opérer une saisie en l’absence d’un titre exécutoire délivré par un juge», explique Me Anibar, avocat au barreau de Casablanca. De plus, «une société de recouvrement n’a pas le droit de recourir à la justice, puisque son champ d’intervention se fait sur la partie amiable, dans les conditions régies et règlementées par la profession. Le litige et le contentieux relèvent des fonctions de l’avocat. C’est d’ailleurs lui qui prend le relais à la fin de la convention qui lie la société de recouvrement à son client et qui dure généralement de deux à trois mois», renchérit le même recouvreur.

Quels sont les recours possibles contre le “harcèlement“ ?
Aucun texte réglementaire ne régit l’activité de recouvreur de créances. Les cabinets de recouvrement opèrent dans un secteur qui n’est pas encore encadré par la loi. Non pas parce qu’ils violent tous à outrance la loi, et celle des données à caractère personnel en particulier, mais parce qu’il n’en existe pas tout simplement.
Néanmoins, les débiteurs lésés par les agissements des recouvreurs peu scrupuleux sont en droit de porter plainte. Notre avocat affirme que «les recours dépendent de la nature du préjudice subi. Les abus peuvent aller de l’usurpation d’identité jusqu’à l’utilisation de faux. Certains plaignants reçoivent par exemple un courrier avec comme en-tête ‘‘Dernier avis avant exécution du jugement’’ alors que ce jugement n’a jamais existé. Ce type de comportements est susceptible d’être sanctionné sur le plan pénal».
D’autres situations peuvent aussi relever du pénal, notamment l’infraction d’abus de confiance, lorsqu’une société, par exemple, facture des frais au débiteur ou conserve le montant des créances recouvrées. Le délit d’usurpation d’identité est aussi très fréquent. Certains recouvreurs mettent dans l’objet de la notification «recouvrement judiciaire» alors que ce type de recouvrement relève exclusivement des compétences du tribunal. «Le fait qu’une personne exerce une activité dans des conditions de nature à créer dans l’esprit du public une confusion avec l’exercice d’une fonction publique ou d’une activité réservée aux officiers publics ou ministériels. Ou, que cette personne use de documents ou d’écrits présentant, avec des actes judiciaires ou extrajudiciaires ou avec des actes administratifs, une ressemblance de nature à provoquer une méprise dans l’esprit du public», affirme l’homme de loi. Cette poursuite pourrait également être déclenchée si la société use de lettres de relance qui ressembleraient à des actes d’huissiers de justice (sommation ou commandement de payer). Ou si elle fait preuve d’un comportement trop agressif qui pourrait être assimilé à un abus de faiblesse ou de violence. Les recours sont multiples mais on nous confirme que les poursuites pénales sur le terrain se font rares, preuve que les victimes n’osent pas franchir le pas pour revendiquer leurs droits auprès de la justice.
En tout cas, il est temps que cette branche d’activité soit régulée. Ces sociétés font appel à des fonds conséquents et recouvrent des sommes d’argent conséquentes. Dès lors qu’il s’agit de drainer des montants importants, il faut mobiliser des garde-fous, «le risque lié à ce métier est donc considérable, dans le sens où n’importe qui pourrait monter une société de recouvrement, détourner des fonds et disparaître dans la nature», déclare un opérateur. A l’instar des agences de voyages, des assurances, etc., des cautions devraient être exigées et bloquées et des autorisations spéciales devraient être délivrées par l’Etat.

Retrouvez cet article sur La Vie éco